Une Métisse entreprend à l’été 1992 la traversée d’une partie du Canada, de Montréal au lac Winnipeg (Manitoba). Voyage pèlerinage pour se refaire une histoire, se « remêler les sangs » en cette année du trois cent cinquantième anniversaire de la fondation de Montréal et du cinq centième de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. La longue route vers les plaines lui fait voir le piteux état de l’autochtonie avec ses bicoques lépreuses, et lui fait revivre aussi l’aventure de Louis Riel et la bataille de Batoche. Voyage rendez-vous avec elle-même et sa lignée métisse : sa grand-mère Mariana, et la mère adoptive de celle-ci, Vèvadèle. Ces personnages de l’ombre, ces laissés-pour-compte, sont des « êtres de frontières », des parents pauvres de l’Histoire officielle.

EXTRAIT

This is Indian Land. Je l’ai vu écrit ici et là en passant des réserves. Nipigon. Nipissing. Serpent River. La réserve Mississauga. Batchewana. Indian Land. Sale et saoule. Avec l’argent du gouvernement. Interdire la vente d’alcool. Those poor people. Les propos du couple âgé me pilonnent l’esprit sans arrêt et une part de moi-même ne cesse de narguer l’autre : alors, on fait son petit pèlerinage aux sources ? on veut remonter vers le pays du grand Manitou ? Regarde bien. Indian Land, pays de laideur, oui. Comment peuvent-ils en effet vivre dans ces affreuses cahutes mal entretenues, entourées de carcasses de voitures, machines à laver déglinguées et traîneries en tous genres. Des chiens maigres partout. Ils font en effet pitié ! ILS ? Mais mon propre grand-père était Indian et vivait dans une réserve ! Le silence complice. Mais que pouvais-je faire ? Chausser des mocassins, sortir mon masque acheté au Trading Post et proclamer que je suis d’origine sang-mêlé ?
Reste que je ne l’ai jamais crié sur les toits, et quoi de plus normal ? Il faudrait être naïf pour ignorer que le sang bleu est mieux coté que celui des Autochtones dans ce pays, pour ne pas dire plus, au point que j’ai longtemps détesté mes yeux noirs fendus dans ma face de lune ; encore maintenant je ne peux me regarder avec complaisance ; sensible aux compliments qu’on me fait, je ne les retiens pas, ils glissent sur moi comme une bouffée d’air agite le pelage d’un fauve allongé à l’ombre en plein midi: il la sent, remue, mais ne s’éveille pas. Et d’ailleurs, quand il m’arrivait de me dire Métisse, la plupart de mes camarades n’en croyaient rien et il se trouvait toujours quelqu’un pour me demander d’en faire la preuve en montant sur le toit de l’école, tout le monde sachant que les Autochtones ne souffrent pas de vertige.
— Une histoire de Métisses, Laure Bouvier

Laure Bouvier

Née à Saint-Boniface, Laure Bouvier a grandi dans un quartier où se côtoyaient familles d’immigrants – Italiens, Allemands, Irlandais, Belges, Ukrainiens, etc. –, et familles de Métis.

Photo : Marie-France Coallier.

Roman / Collection : « Nomades » / Prix indicatif : 14,95 $

176 pages environ / 10,8 x17,7 cm / 978-2-7609-3701-7

En librairie le 6 avril 2022

Également disponible au format numérique - ePub