Alors que Carole Fréchette et Lise Vaillancourt commençaient, chacune de son côté, l’écriture d’une nouvelle pièce de théâtre, elles ont décidé d’entreprendre une correspondance sur leur chantier d’écriture respectif. L’idée était de garder vivant le fil de la création à travers leurs diverses obligations : quelles que soient leurs occupations et où qu’elles soient, elles auraient un rendez-vous épistolaire toutes les deux semaines.

Ces lettres parlent bien sûr de la progression concrète de leur texte – incursion précieuse dans leur atelier d’artiste –, mais aussi de leurs questionnements sur un métier qu’elles pratiquent depuis plus de trente ans. La correspondance est traversée par leurs désirs, leurs écueils, leurs fulgurances, leur enthousiasme devant des lectures inspirantes ou des films provocants, leurs réactions aux évènements du monde – Charlie Hebdo, le Bataclan… – et de leur vie – naissances, deuils...

 PRÉSENTATION

Le résultat est passionnant. En plus de suivre à la trace l’évolution de leur pièce depuis les toutes premières intuitions, les lettres constituent un dialogue d’écrivaine à écrivaine, une conversation large, lucide, fragile, vraie. Il ne s’agit pas d’un mentorat mutuel : les auteures ne se partagent pas les pièces en elles-mêmes – sinon des phrases –, mais plutôt les images qui les ont habitées, des esquisses de personnages, des structures en pleine élaboration.

Amorcé en 2014, leur échange s’est étalé sur deux ans. Au terme de l’expérience, les auteures ont eu envie de partager cette matière vibrante sous forme scénique. Une version abrégée de la correspondance en a résulté, puis un spectacle, à l’occasion du Festival international de littérature en septembre 2020, à la Cinquième Salle de la Place des Arts, dans une mise en scène de Catherine Vidal (une tournée est à venir). L’idée d’une publication a suivi et, avec elle, d’un retour à une version plus longue et étoffée, dont le souffle respecterait mieux l’objet initial.

Ce titre inaugurera chez Leméac une nouvelle collection portant sur la pratique du théâtre.


EXTRAIT

5 avril 2014

Chère Carole,

Depuis que nous avons parlé de cette correspondance, un vent fou s’est levé dans ma tête, faisant revoler pêle-mêle dans les airs des mots sourds : mésestime, jalousie, amour-propre, qui m’obsèdent depuis longtemps.

Évidemment, la pièce me réveille la nuit. Est-ce la pièce ? Ou certaines de ses manifestations qui me torturent ? Comme des enquêteurs qui fouillent ma propre vie, triturent des bouts de mon enfance puis les rejettent derrière eux, une sorte de fouille en pleine nuit de mes propres sentiments, comme si les sentiments pouvaient être évalués, manipulés, soupesés puis mis dans des petits sacs plastique pour être ensuite analysés en laboratoire. Je veux me lever pour écrire ça – ce qu’ils gardent et ce qu’ils rejettent –, mais au moment de sortir du lit, une moitié de la scène s’enfonce dans le matelas, disparaît dans les épaisseurs des draps et quand j’arrive à mon bureau, les yeux en bataille, ce qui me reste me paraît incohérent, inutile, très loin de la pièce à écrire. Je me recouche. J’essaie de penser à quelque chose d’apaisant, comme lorsque mon grand-père posait sa longue main sur ma tête, et je finis par m’endormir, les yeux brûlés par d’autres images qui dansent devant moi, qui ne font pas de sens. Nous sommes tant à dormir, à cette même heure. Peut-être font-elles partie du rêve d’un autre...
— Un vent fou s'est levé dans ma tête, Carole Fréchette et Lise Vaillancourt

CAROLE FRÉCHETTE

Carole Fréchette a écrit une vingtaine de pièces, traduites en vingt langues et jouées sur les cinq continents. Elles lui ont valu de nombreux prix et distinctions, au Québec et ailleurs. Cette œuvre fervente, qui comprend également deux romans jeunesse, est l’une des plus diffusées du théâtre francophone contemporain.

Photo : Claude Dolbec.

LISE VAILLANCOURT

Les textes de Lise Vaillancourt ont été joués en Amérique, en Europe et en Asie ; plusieurs fois boursière, plusieurs fois invitée en résidence à l’étranger, elle fut l’une des figures dirigeantes du Théâtre Expérimental des Femmes dans les années 1980, participant entre autres à la fondation de l’Espace Go. Elle a été directrice artistique du Théâtre de la Ville (Longueuil) pendant neuf ans, a siégé à la Commission internationale du théâtre francophone et fut pendant de nombreuses années présidente du Centre des auteurs dramatiques.

Photo : Jérôme Guibord.

Correspondance / Collection « Pratiques théâtrales » / Prix indicatif : 21,95 $

200 pages environ / 14 x 21,6 cm / 978-2-7609-0484-2

En librairie le 9 novembre 2022

Également disponible au format numérique - ePub