Quand le moment sera venu, je marcherai jusqu’au rocher-berceau et je m’y déposerai. Je m’y coucherai, mes mains caresseront la pierre, j’y poserai les doigts, les joues, les lèvres. C’est par la peau que je retrouverai ma place.
La narratrice de ce recueil de nouvelles traverse les temps et les lieux : ceux de l’enfance que l’on revisite ; ceux où l’on fait escale sans s’y laisser prendre ; ceux où l’on accompagne des voix oubliées ; ceux complètement imaginaires, où l’on se projette ; ceux où l’on devient soi-même le personnage d’un autre. Peut-être surtout les lieux de la fiction, puisque c’est finalement là que la narratrice se révèle.
PRÉSENTATION
D’une écriture aussi habile que sensible, l’autrice lie avec finesse ces histoires géopoétiques qui toutes nous convient à renouer avec le réel quand nos relations au monde tendent au virtuel. Une invitation à prendre lieu, à plonger ses racines dans un territoire pour le faire sien.
EXTRAIT
« MERCREDI 17 MAI
Si l’on nous observait à la jumelle depuis le port, on devinerait les contours d’un ketch de seize mètres plongé dans l’obscurité, le reflet un peu plus clair de la coque, le renflement flou de la cabine, on localiserait les deux mâts grâce aux feux de position. Devant les voiles mises à la cape, triangles gris foncé posés sur le noir de la nuit, on distinguerait quatre silhouettes figées, rigides, reparties sur toute la longueur du pont. On ne percevrait aucun mouvement. Aucun son non plus. Et si l’on s’approchait jusqu’à venir toucher l’étrave, on n’entendrait toujours rien. Car nous attendons, immobiles et silencieux.
La capitainerie contactée plus tôt nous a ordonné de passer la nuit au large en attendant le haleur, demain matin : il était trop tard, le soleil presque couché et les équipes parties, il faudrait patienter, pas le choix, on n’entre pas dans un port à la voile. D’ailleurs, malgré l’envie qui nous tenaillait d’être enfin à terre, nous n’aurions pas pris ce risque. Le Stirwen a des allures de vaisseau fantôme, une version ravagée du ketch arrogant sur lequel nous avons pris la mer dans les Antilles il y a trois semaines. Foutu moteur en panne, foutu rafiot pas fait pour la mer!
Faial découpe sa silhouette d’île sur la ligne d’horizon, grosse bosse volcanique posée sur l’océan et piquée de quelques éclats lumineux. Sur la côte, le port flamboie. Les lumières des maisons et des bars scintillent au bout de nos bras, les cloches des églises égrènent les heures qui ne passent pas. Horta est là, tout près. Inaccessible. À terre, le monde vit et nous sommes là, empêchés. Il faudrait dormir, évacuer la fatigue qui tourmente nos corps et met nos nerfs à vif depuis des jours, des semaines, s’évader dans les rêves à défaut de pouvoir quitter le navire. À quoi ça sert de rester là sur le pont, à attendre le lever du jour? Pourtant nous ne bougeons pas, obsédés par les lumières de la ville comme des insectes hallucinés collés à une ampoule.
Aucun de nous ne parle. Chacun a peur de prononcer le mot de trop. »
PRESSE
Prendre lieu est donc une invitation à regarder ce qui nous entoure, que ce soit le décor d’une pièce ou les gens que l’on croise pendant une marche. Avec ses mots et son lyrisme, l’autrice propose à ses lecteurs de quitter leurs écrans et leurs écouteurs pour se reconnecter à leurs cinq sens et ainsi apprendre à sentir tout ce qui grouille autour d’eux. Qu’on soit en voyage ou en train de se promener sur la rue qu’on emprunte tous les jours.
— Léa Harvey, Le Soleil
Il faut souligner d'emblée l'écriture qui est vraiment remarquable. Il faut voir aussi de quelle façon [Karine Légeron] incarne les lieux et les personnages. J'ai parlé des différentes tonalités, mais il y a aussi la justesse et la finesse du rendu émotif des personnages.
— Lynda Dion, Libraire de force
KARINE LÉGERON
Karine Légeron a fait de Montréal le point de chute de ses voyages au long cours et se consacre aujourd’hui essentiellement à la littérature. Chargée de cours à l’université, elle poursuit ses réflexions sur la création littéraire dans sa thèse de doctorat. Après le recueil de nouvelles Cassures (2015) et le roman Nos vies de plume (2019), Prendre lieu est sa troisième publication.
Photo : Rodolphe Lasnes.
Recueil de nouvelles / Prix indicatif : 19,95 $
152 pages environ / 14 x 21,6 cm / 978-2-7609-4894-5
En librairie le 2 février 2022
Également disponible au format numérique - ePub