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Entre le lundi 16 mars (Jour 1) et le lundi 20 avril 2020 (Jour 35), Wajdi Mouawad a tenu sur le site de La Colline vingt-cinq chroniques qui furent très suivies et occasionnellement reprises par d’autres théâtres européens. Ce sont ces textes, écrits d’une traite dans la soirée et dans la nuit puis enregistrés au matin, que ce recueil rassemble et propose.

Confiné entre les quatre murs de sa maison à Nogent-sur-Marne – comme des millions d’entre nous dans nos Ithaque –, Wajdi Mouawad entreprend un fulgurant voyage intérieur depuis le microcosme qui est le sien – l’école à la maison, l’érable du Japon, le zèle ménager, le chat décontenancé, les cent pas dans la ruelle – jusqu’à l’œil cyclopéen du Big Bang où brillent des étoiles mortes. Il nous transporte dans le bureau de Peter Handke et dans la maison de retraite de son père, il nous conduit au bord du fleuve Saint-Laurent, à Montréal, en Grèce, au Grœnland, dans le Liban de son enfance. À travers Kafka et Star Wars, en passant par la phonétique française et le temple apollinien de Delphes, il fait valser la folie de sa pandémie endogène sur une lame de rasoir, rêver le même rêve aux membres de la tribu humaine, rugir la bestialité endormie du quotidien. Il broie ainsi du noir d’encre et en extirpe une lumière consolatrice. Son écriture libre et surgissante trace la carte d’un territoire fantasque, les bêtes d’une mythologie inédite, les lettres foreuses d’un abécédaire wajdien inédit.

L’artiste calligraphe Pierre di Sciullo, qui signe le graphisme du Théâtre national de la Colline depuis plusieurs années, anime finement la typographie de ces jours/textes si particuliers.

 

 EXTRAIT

Au milieu de la nuit, j’aimais surtout me promener le long des ruelles de Montréal. Marcher dans ces ruelles me donnait un sentiment de protection, et j’aimais leur solitude. Moins éclairées, moins entretenues, laissées davantage à elles-mêmes, les ruelles ont une convivialité que les rues ne possèdent pas. Bien au contraire. Je me souviens : les rues me semblaient trop écrasantes avec leurs boutiques, leurs terrasses, leurs cafés branchés, leurs restaurants et leurs cohues. Les rues, en particulier celles où grouillait cette faune qui me semblait profiter de sa jeunesse d’une manière qui m’échappait toujours, me rappelaient trop violemment combien la vie sociale ne s’acquiert qu’à la condition de réussir sa vie et d’avoir les moyens de s’offrir tout ce qui était jeté confusément à l’appât de nos envies. En cela, les rues me renvoyaient à ma médiocrité, à mon échec, à ma nullité et à l’humiliation de ressentir que tout cela, qui semblait si joyeux, ces filles et ces garçons à l’air si dégagé, si bien habillés, qui semblaient si sûrs d’eux-mêmes, tout cela restera d’autant plus hors de ma portée qu’en ces années-là j’étais loin de toute réussite, qu’elle soit sociale, scolaire ou professionnelle. J’étais si loin de toute considération positive de moi-même que j’allais dans un brouillard tout en ignorant que c’était un brouillard. Voilà pourquoi je préférais passer par les ruelles, où je pouvais fuir la lumière crue posée sur ma médiocrité. De toutes les villes nord-américaines où j’ai eu la chance de séjourner au cours de ces longues années, je peux affirmer que les plus belles ruelles se trouvent à Montréal. Je les arpentais souvent la nuit, tant la nuit m’était insupportable. Je sortais de chez moi et, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il gèle, je cherchais le calme dans le don des jambes et l’art de poser un pied devant l’autre et recommencer, laissant la marche me pénétrer. Beaucoup de choses nous entrent par les pieds. Elles mettent des années pour arriver jusqu’à la tête, où l’on comprend tout à coup ce que ces errances nous ont apporté. Même si le chemin le plus long reste encore à faire, celui qui consiste à aller de la tête jusqu’au cœur. Ce chemin, nul ne peut le mener à son terme sans être passé par les épreuves. Ce que vaut un humain sa vie durant, seul l’affrontement avec les grandes épreuves de la perte peuvent le montrer tel qu’il est et le conduire à son centre. S’il est vrai qu’à l’instant de notre mort on voit défiler notre vie, je verrai quant à moi défiler les paysages intérieurs que j’ai parcourus des années durant à travers les ruelles enneigées de Montréal.
 

PRESSE


Wajdi Mouawad nous offre le livre de la pandémie qu’il faut lire maintenant parce que demain sera trop tard. Ce n’est pas un expert scientifique qui avertit le gouvernement, ici, c’est l’avis d’un auteur d’une grande sensibilité assis au chevet de ses semblables dépassés par les évènements.  […] Wajdi Mouawad est un chat qui se promène la nuit. Pas gris du tout. Plutôt brillant. […] Ce livre est peut-être aussi le texte le plus personnel et intime qu’il nous ait offert.

— Mario Cloutier, La Presse


Dès qu’on tourne la couverture, pas de page de garde, on est immédiatement plongé dans le récit. On a hâte aux prochains mois d’observations.

— Culturehebdo.com


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Wajdi Mouawad

Wajdi Mouawad est un écrivain nocturne. Ses pièces, romans et essais traversent tous, pour en affronter les fantômes, une obscurité, une opacité, un brouillard, un certain aveuglement qui se dissipe au fils des mots. Dans les nuits de ce confinement, devenu le confinement de ses nuits, au fond des puits explorés, par-delà le vertige des ténèbres, l’écriture de ces chroniques lui aura permis – nous aura permis en les écoutant – de soigner un peu la cécité qui nous a frappés.

Comédien, metteur en scène, directeur du Théâtre national de la Colline, Wajdi Mouawad est aussi l’auteur du quatuor épique Le Sang des promesses (LittoralIncendiesForêtsCiels) et du roman Anima. Traduite en plusieurs langues, son œuvre a été saluée par de nombreuses récompenses internationales.

Photo : D. R.

Coédition Actes Sud / Carnet / Prix indicatif : 24,95 $

168 pages environ / 15 x 20 cm / ISBN : 978-2-7609-1330-1

En librairie le 24 mars 2021