“On s’est perdus depuis au moins trente minutes, papa et moi, je ne sais plus. Je ne comprends pas bien le temps. Je n’ai pas de montre. Je comprends mieux ce que papa dit parfois, combien une minute peut paraître une éternité, ou à l’inverse combien les heures passent si vite qu’elles avalent des journées entières, surtout quand je joue à des jeux vidéo chez des amis ou au soccer derrière la maison ou qu’on se baigne dans le lac en jouant à celui qui restera le dernier en équilibre sur une vieille planche à voile. Mais l’enfer dans chaque seconde, c’est très long.
Je regarde la forêt. Elle est immobile, elle va me sauter dessus et me manger. Et si papa ne me retrouve pas avant la nuit ? Ça me donne mal au cœur. Respire, calme-toi. Je me parle dans ma tête.
Ça ne marche pas. Les larmes coulent sur mes joues. Qu’est-ce que je vais faire tout seul? Il n’y a personne. Ni papa ni d’autres humains. Même les ours sont partis hiberner depuis deux mois. Mon ami Nathan a fait une présentation sur les ours en classe l’autre jour et leur hibernation commence vers la mi-novembre. Je pleure à côté du sentier où je me suis arrêté. Comment papa a-t-il pu m’oublier? C’est impossible.
« Papa !!!! »
Je crie à pleins poumons toutes les cinq minutes mais personne ne répond.
La clarté diminue, je le vois bien. Papa n’est pas là. Mes skis sont debout, enlevés et plantés à côté de mes bâtons sur le bord du sentier. Ils ne me servent plus à rien. J’attends que papa revienne. Qu’est-ce que je pourrais bien faire d’autre ? J’ai beau respirer, ça ne change rien.
Papa était là, avec moi, devant moi. Je le voyais tout le temps. Puis il a disparu. Ça ne lui ressemble pas. Même s’il est spécial et parle à tout le monde, il n’a pas d’ailes et n’a pas pu s’envoler. Il sait qu’on est ensemble en ski pour aller vers un refuge et passer la nuit là. C’est quand même lui qui a organisé ça.”