« À la seconde question, « Depuis combien de temps attends-tu ? », j’étais capable de réponde. Mais la troisième question, « De quoi souffres-tu ? », m’a laissée songeuse. J’y ai répondu : « De rien. » C’était assez simple. Je n’avais jamais parlé d’interruption volontaire de grossesse à des hommes juifs ultra-orthodoxes portant de grands chapeaux. Jamais et avec personne je ne devais discuter de ma volonté déchaînée.
Il continuait à sourire bêtement, de toutes ses dents mal alignées. Cela m’étonnait qu’il ne tente pas de les dissimuler. Ses lèvres étaient superbement charnues. Il aurait dû s’en servir pour cacher sa dentition crochue. Lorsqu’il a compris, assez vite d’ailleurs, que je ne voulais pas élaborer sur ma blessure, il s’est empressé de me demander si j’étais juive. Lorsque je lui ai répondu non, j’ai cru qu’il était à la fois déçu et satisfait. Il s’est peut-être imaginé que, n’étant pas pratiquante selon ses critères, il serait moins ardu de s’approcher de moi. Il avait raison, mais il ne savait pas encore à quel point. »