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Laure est belle, Florence ne l’est pas. Pourtant, elles vivent et s’aiment comme des âmes sœurs, peut-être un peu plus. Leur désir et leur affection ne s’atténuent pas avec le mariage de Florence, puis la naissance de Cassandre, qui aura son mot à dire et voudra, elle aussi, tenir un rôle dans cette pièce aux miroirs.

Le livre que propose Kiev Renaud ne révèle pas tout ; il en dit juste assez pour que le lecteur puisse participer à la construction d’une histoire livrée sous forme de tableaux. On y trouve des fillettes qui jouent aux prostituées, font visiter une maison vide à un inconnu, s’imaginent avoir été kidnappées. Le danger y est souvent frôlé, mais surtout en pensée et par le langage. Ce que le roman veut raconter n’est pas dans l’aventure, mais dans la relation ambigüe qui s’établit entre les personnages féminins mis en scène. Une écriture fine, précise, retenue vous attend dès la première nouvelle, qui a valu à son auteure de remporter le Prix du jeune écrivain de langue française 2015.

Au fait, ne croyez pas tout ce qu’elle dit : Florence a peut-être embrassé Laure.

 

 EXTRAIT

Quand nous avions dix ans, Sybille, Ophélie, Laure et moi jouions aux prostituées dans le grenier de la maison de mes parents. Nous enfilions des jupes de patinage artistique ou de danse baladi, des peignoirs ouverts sur nos hauts de bikinis, les triangles de tissu pochant sur nos poitrines plates. Comme ma mère ne se maquillait pas, mes amies apportaient de vieux produits de beauté : des fards à paupières pastel, des crèmes qui nous ont donné nos premiers boutons, des rasoirs rouillés avec lesquels on se taillait le duvet des jambes. La pièce sentait le talc et le vernis à ongles.

J’ai une photo de ces samedis, un cliché flou que je garde dans une vieille carte d’anniversaire. Nous flottons dans nos déguisements dépareillés et pointons l’index vers l’objectif, les hanches basculées sur le côté. Laure est la seule à avoir des seins, des pointes souples, et ses cheveux voilent son visage ; Sybille a la bouche rouge, enflée par le maquillage ; Ophélie jette un regard furtif aux autres pour ajuster sa position ; j’ai les oreilles écartées, les cheveux séparés en deux lourdes couettes.
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KIEV RENAUD

Sherbrookoise d’origine, Kiev Renaud est doctorante en littérature française à l’Université McGill. Elle est membre du comité éditorial de la revue Contre-jour. Elle a publié en 2007 un roman, Princesses en culottes courtes, et ses nouvelles ont été primées tant au Québec (Prix de la nouvelle Radio-Canada) qu’en France (PJEF).

Photo : Audrée Wilhelmy.

Roman par nouvelles / Collection « Nomades » / Prix indicatif : 7,95 $

80 pages environ / 10,8 x 17,7 cm / ISBN : 978-2-7609-3689-8

En librairie le 31 mars 2021

Également disponible au format numérique - ePub