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À la disparition de l’aimée, comment faire le décompte des jours autrement qu’à rebours, en apnée, dans l’intense proximité des corps bientôt séparés ? Naviguant entre la missive amoureuse et la chronique des heures, chaque journée-chapitre de ce récit situe l’état de « partance » de la « terrible vivante », « samedit, vendredit, jeudit… », nomme ces traces cruelles laissées sur les chairs par le souffle de la maladie, par les trop nombreux médicaments, par la douleur du départ. Le texte s’élance parfois plus loin encore, sur la fréquence ailée des souvenirs, des voyages en Death Valley, des moments tendres, afin de revenir s’immerger dans le trop vif présent du deuil, jusqu’au « lieudit » :

Cette avenue déserte au bout des mots retrouvés pour dire un peu ce qui arrive quand la route s’arrête et que le chemin continue quand le récit s’interrompt et que ces mots dits coulent s’écoulent croulent s’écroulent en chute libre.

Exploratoire, inventive, empruntant à l’élégance de Saint-Simon comme à l’irrévérence de Ducharme, la langue qui anime ce récit délyrique est modulée en parfaite résonnance avec la plongée vertigineuse à laquelle elle nous convie. Le lecteur, forcément, en ressort ébouriffé.

 

EXTRAIT AUDIO

Lecture d’un extrait du roman par Marie-Josée Roy, l’éditrice du livre.

 

ALBUM PHOTO

 
Photo : La Reine du Nord dans les sables salés de Badwater (Death Valley). (Avec l’aimable autorisation de Pierre Filion).

Photo : La Reine du Nord dans les sables salés de Badwater (Death Valley). (Avec l’aimable autorisation de Pierre Filion).

 
 

 EXTRAIT

Soir.
L’infirmière me dit monsieur Bob vous pouvez rentrer dormir chez vous mais demain soir on verra bien où vot’ dame sera rendue. Elle savoit lire avec une infinie précision l’horoscope des signes vitaux dans la profondeur de l’œil de Zaza dans le grain de peau sous la peau dans le chagrin du souffle sous le souffle. Si quelque chose se produit je vais vous téléphoner promis promis. Vous savez monsieur Bob chaque nuit a ses secrets. Bien sûr bien sûr garde Nathalie chaque nuit est une boîte à surprises chaque nuit est une volée envolée chaque nuit le check point du grand-duché des décédés déborde d’activités clandestines.
Je rentrai à pied la tête légère dans ces secrets à venir ces fausses surprises toutes déjà avenues lavai le reste du beau monsieur et me glissai dans les draps de l’Eternity. L’ange m’appela bien sûr bien sûr ce ne fut ni stupeur ni tremblements ni mystère ni transissements ni palpitations nous allions traverser bientôt les guérites du fol absolu. Votre dame me demande de la soulager. Elle vous fait dire de ne pas vous inquiéter. Je vais la soulager mais il se pourrait qu’elle ne vous parle plus. Votre dame vous fait dire de ne pas vous inquiéter. Je ne suis pas inquiet garde Nathalie garde Stéphanie garde Amélie garde Rosalie. Votre dame fait dire de ne pas vous inquiéter. Je ne suis plus inquiet garde de Lanuit je ne serai plus jamais inquiet en gare de nuit. Nous nous sommes dit ce soir tout ce qui étoit encore nécessaire et le reste viendra. Après. Ores elle n’a plus besoin de me parler puisque nous avons changé de canal et nous allons tous les deux dormir ailleurs je crois dans les allègements consentis je recrois par-delà les enchaînures admirables. Je vous remercie de votre appel garde de soir garde de nuit garde du petit matin. Votre dame ne veut pas que vous vous inquiétiez pour elle. Je ne m’inquiète pas pour elle garde je commence juste à m’inquiéter pour moi. Le Bob en lui-même commence à shaker sent frétiller sent s’agiter tous les glands de son chêne.
 

PRESSE


La langue autant inventive qu’exploratoire, voire ludique de l’écrivain, […] devient une accroche pour se hisser la tête hors de l’eau. Somptueuse incursion sous-terraine que ce court récit qui rend hommage aux partants comme aux survivants.

— Claudia Larochelle, Avenues.ca


Les derniers jours de la Reine du Nord n’est pas un roman à clefs dont il faudrait connaître les tenants et les aboutissants d’une histoire personnelle de l’auteur ou de son jumeau de plume. C’est une histoire si éminemment intime qu’elle interpelle des formes plus anciennes d’écriture, comme si elle était écrite par quelqu’un d’autre que ce Bob imaginaire qui ne se résout pas à mettre en mots la charge émotive de son chagrin d’assister impuissant à la lente et tourmentée agonie de sa compagne. […] Les derniers jours de la Reine du Nord peut « étonner par son caractère insensé́, déraisonnable, excessif » tant des personnages et des péripéties racontées que de son matériau plus basiquement littéraire. En cela, je suis d’avis qu’il se rapproche de la facture du surréalisme, ce « mouvement intellectuel et artistique révolutionnaire qui prône l’utilisation des forces psychiques libérées du contrôle de la raison et l’abolition des valeurs reçues. » Comment aurait-il pu en être autrement quand on se fait le devoir de mémoire d’une relation démesurée parce qu’immesurable, sinon en réinventant jusqu’aux codes de la littérarité? 

— Jean-François Crépeau, Le Canada Français


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PIERRE FILION

Trente ans après Lux (1989) et Les chiens de l’enfer (1991) s’achève le cycle des Vestiges amoureux, alors que s’éteint la lumière derrière les yeux de Zaza, la Reine du Nord, devant un Bob désarmé, dévasté.

Éditeur depuis bientôt cinquante ans, à la barre de la maison Leméac et des éditions du Silence, Pierre Filion a lui-même publié de la fiction, des anthologies et des romans pour la jeunesse.

Photo : Julie Larocque.

Roman / Prix indicatif : 14,95 $

168 pages environ / 10,8 x 17,7 cm / ISBN : 978-2-7609-4835-2

En librairie le 17 février 2021

Également disponible au format numérique - ePub