« Je devais jouer un ours dans un spectacle qui n’était pas du théâtre jeunesse. La metteuse en scène ne voulait pas s’embarrasser d’un costume d’ours encombrant, nous avons donc réfléchi ensemble à une façon d’évoquer l’ours sans le voir. La première question qui m’est venue (et que j’ai gardée pour moi ; ça faisait partie de ma poutine perso), c’est : « Suis-je un ours noir ou un ours blanc ? » Question qui peut sembler stupide étant donné que je suis noir, donc l’ours est noir.
Mais… grattons un peu la question… Je travaille tous mes personnages devant un miroir. On me le reproche constamment, et je réplique toujours que le grand Stanislavski lui-même disait : « Il faut faire très attention lorsque vous travaillez devant le miroir. » Il n’a pas dit de ne pas travailler devant le miroir, mais seulement de faire très attention. Quel danger cela représente-t-il, au fond ? Qu’on se regarde jouer ? Qu’on s’observe le visage en exprimant telle ou telle émotion ? Qu’on travaille le personnage de l’extérieur plutôt que de l’intérieur ? Moi, ce que j’en dis, c’est ceci : il faut s’observer pour ne jamais oublier à quoi on ressemble. Pas la peine de s’illusionner, on a la gueule qu’on a. « Pour tout bagage on a sa gueule », chantait Léo Ferré. Et c’est ça que le public voit, notre gueule. Je reviens à l’ours. Si on tient compte de ce que je suis, on l’a dit, je suis un ours noir. Bon. Mais si on tient compte de ma passion pour les ours blancs ? Avec leurs grosses papattes blanches, j’ai juste envie de leur donner un gros câlin, moi ! C’est comme ça depuis l’enfance. Alors, sans costume et sans précision dans le texte sur l’espèce d’ours en question, je pourrais aisément m’imaginer être un ours blanc. Juste pour m’amuser. Non ? Par respect pour la gueule que j’ai, j’ai opté pour l’ours noir.
SI TU AS À CHOISIR, OPTE POUR TA GUEULE.  »