Dans Seuls, le fils d’une famille libanaise se confronte à lui-même en apprenant que son père est dans le coma et en se heurtant à la signification symbolique du tableau de Rembrandt Le retour du fils prodigue. Avec Sœurs, deuxième volet du cycle « Domestique », une femme extériorise les souffrances causées par l’exil de sa famille et la difficulté de faire coexister en elle une double culture. Dans Mère, le troisième volet du cycle, une mère libanaise quitte son pays avec ses trois enfants pour fuir la guerre civile et s’installe à Paris. Son mari, contraint par ses impératifs professionnels, ignore s’il pourra les rejoindre. Commence alors pour la famille une parenthèse absurde, rongée par la peur des dégâts irrémédiables de la guerre et alanguie par l’attente d’un père, dont l’absence empêche de reprendre une vie normale.

 PRÉSENTATION

Le lecteur vit avec cette famille cinq années teintées par le tourment, l’impatience et l’amertume, dans la double impossibilité de se fixer et de retourner au pays natal, mais aussi par de furieux éclats de voix, d’imaginaire, d’humour et de lumière, alors que les enfants s’enracinent tant bien que mal et contre le gré de leur mère, qui voudrait demeurer dans un temps d’attente suspendu.

D’abord parue dans une version illustrée à l’automne 2022, cette pièce est maintenant offerte dans la collection « Actes Sud-Papiers »


EXTRAIT

WAJDI ENFANT. Mais quoi ?!
MÈRE. Depuis quand une bombe descend dans le jardin ? Elle tombe. Une bombe tombe ! Tombe ! Tombe ! Comme la chanson d’Adamo, tu ne la connais pas la chanson ? Tombe la neige ? C’est pareil mais au lieu de la neige, la bombe. Corrige.
WAJDI ENFANT (reprenant son texte). Tombe la bombe, elle a allumé le jardin. Dans le salon j’entends la bombe, elle tombe j’ai peur mais après je chante et des fois ça va mieux et des fois ça ne va pas. Mais demain la guerre elle finit, avec ma famille on allera au Liban, on allera dans la maison on sera contents et moi je allerai dans la forêt.
MÈRE. On allera au Liban et je allerai dans la forêt ?
WAJDI ENFANT. Nrouh 3a Lebnén wa Brouh 3al herch…
MÈRE. Oui j’ai compris… Dis-moi, ô Platon, comment on conjugue le verbe aller ?
WAJDI ENFANT. Je alle tu alles il alle nous allons vous allez ils allent ?
MÈRE. Tu vas rester idiot combien de temps ? Je peux savoir ? Tu crois que ça m’amuse quand les gens me disent “Wajdi n’a pas l’intelligence de son frère, l’école n’est pas pour lui, arrête de lui faire perdre son temps et fais-le travailler quelque part dans un restaurant, un garage, au moins il te rapportera de l’argent” ? Ça t’arrive de penser à ton père tout seul là-bas à se faire bombarder, il crame son Dieu, fait sacrifice de tout, pour que toi tu puisses étudier ici ? Tu crois que regarder Goldorak suffit ? Tu crois que parce que je t’aime ça suffit ? Réponds. Réponds ! Non, t’aimer ne suffit pas. Ça fait plus d’un an qu’on est dans ce pays et tu ne sais toujours pas mettre un mot devant l’autre. Tu vas me répondre si tu ne veux pas que je t’étrangle. Comment on conjugue le verbe aller ?
WAJDI ENFANT. Je alle…
MÈRE (le giflant). Comment on conjugue le verbe aller ?
WAJDI ENFANT. Je ne sais pas !
MÈRE. Tu sais ! Comment on conjugue le verbe aller ?
WAJDI ENFANT. Je alle…
MÈRE. Je vais, je vais, ça se conjugue je vais !
— Mère, Wajdi Mouawad

WAJDI MOUAWAD

Comédien, metteur en scène, directeur du Théâtre national de la Colline depuis 2016, Wajdi Mouawad est aussi l’auteur du quatuor épique Le sang des promesses (Littoral, Incendies, Forêts, Ciels) et du roman Anima. Traduite en plusieurs langues, son œuvre a été saluée par de nombreuses récompenses internationales.

Photo : Simon Gosselin.

Coédition Actes Sud-Papiers / Leméac

Théâtre / Prix indicatif : 31,95 $

184 pages environ / 15 x 20,5 cm / 978-2-7609-1341-7

En librairie le 1er novembre 2023

Également disponible au format numérique - ePub