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Au début du XIXe siècle, dans une anse isolée de la côte nord de Terre-Neuve, Ada et son frère Evered ne sont encore que des enfants lorsqu’ils se retrouvent brusquement orphelins et laissés à eux-mêmes. Leur existence, régie par l’alternance d’abondance durant la belle saison et de presque disette au plus creux de l’hiver, se transforme en un combat pour leur survie.

Le passage de L’Espérance, navire qui les ravitaille au printemps et à la fin de l’été en échange du maigre résultat de leur pêche, devient leur seule ouverture sur un monde qu’ils ne comprennent pas et dont ils ignorent tout. Tandis que les saisons, puis les années passent, rythmées par une nature impitoyable et splendide, la relation étroite qui les unit se trouble, mise à l’épreuve par des forces dont la source, cette fois, se trouve en eux.

 

ENTREVUE

D’OÙ VOUS EST VENUE L’IDÉE DE DÉPART POUR LES INNOCENTS ?

J’ai été inspiré pour écrire cette histoire par la découverte tout à fait fortuite d’un court rapport figurant dans les archives provinciales. Il s’agissait du compte-rendu, un simple paragraphe, rédigé par un homme d’Église qui lors d’une visite sur la côte nord de Terre-Neuve était tombé sur deux jeunes gens, un frère et une sœur, qui vivaient là. C’était à l’époque où la plupart des villages isolés étaient trop petits pour posséder leur propre église, et les membres du clergé se déplaçaient pour l’exercice du ministère. La jeune fille était de toute évidence enceinte et le pasteur a supposé, avec raison j’en suis sûr, que c’était l’œuvre de son frère. J’ai tout de suite entrevu un roman dans ce récit, mais je ne voulais pas être celui qui l’écrirait. Le sujet était si complexe et difficile à traiter que je ne pensais pas en être capable. J’ai tenté pendant des années d’oublier ces deux enfants, mais ils ne m’ont jamais vraiment quittés.

La solitude des deux orphelins dans Les innocents rappelle celle du personnage de Moses Sweetland dans votre précédent roman; l’aspect impitoyable de la nature et des éléments joue un rôle fondamental dans ce livre. Est-ce quelque chose qui à la fois vous hante et nourrit votre inspiration en tant qu’écrivain et aussi en tant que Terre-Neuvien ?

Je crois qu’il est impossible de grandir à Terre-Neuve sans acquérir une certaine sensibilité au pouvoir terrifiant et stupéfiant des éléments. Et en s’intéressant un peu à l’histoire de l’établissement des Européens sur l’île, il devient évident que ces gens étaient entièrement à la merci de forces qui dépassaient leur capacité à les contrôler, particulièrement sur l’océan. En tant qu’écrivain, voilà quelque chose qui m’a toujours fasciné. Faire de cette vulnérabilité inhérente à l’être humain un sujet d’écriture comporte une sorte de force brute. Avec le temps, je crois que cette expérience terre-neuvienne du monde s’est traduite en une espèce de métaphore de mon regard sur l’expérience humaine en général. En dépit de cette illusion de contrôle que la société moderne essaie de nous inculquer, nous sommes tous à la merci de forces extérieures.

Photo : Chris Miner.

Photo : Chris Miner.

Quel a été votre processus d’écriture pour Les innocents, et cela a-t-il été pour vous une expérience différente des précédentes ?

Chacun de mes romans a été une expérience différente aussi bien en ce qui a trait à la composition de l’intrigue qu’à mon état d’esprit pendant et après l’écriture. Les innocents a été écrit très vite, contrairement à mon habitude. J’ai commencé le 1er mars 2018 et j’ai écrit tous les jours pendant les trois mois et demi qui ont suivi. Après cette période, le plus gros du livre était achevé. En juin, j’ai soumis un premier jet à mon éditrice chez Doubleday et en octobre nous avions la version finale. Il a fallu sept mois du début à la fin; je n’en reviens toujours pas. L’expérience a eu quelque chose d’un peu hallucinatoire. Tout s’est passé si vite qu’en regardant le résultat, je me suis aperçu que j’avais oublié des pans entiers de ce que j’avais mis dans ce livre.

A-t-il été difficile d’écrire sur l’aspect sexuel de la relation qui se développe entre Ada et Evered ?

Pour être franc, c’est pour cette raison que je ne voulais pas essayer d’écrire le livre moi-même après être tombé sur l’histoire dans les archives. J’y voyais mille façons d’amener le récit en terrain glissant. Mais lorsque j’ai finalement décidé de m’y mettre, je me suis résolu à traiter cette relation sexuelle de manière explicite. Il est devenu évident que la grossesse allait jouer un rôle prépondérant dans le livre, ainsi que le sexe, même s’il n’est jamais vraiment évoqué. Je n’étais pas intéressé à simplement y faire allusion ou à contourner le sujet, mais j’étais en même temps déterminé à écrire les passages où il est question de sexe sans qu’il s’agisse d’un exercice de voyeurisme au détriment des deux enfants, ou qu’ils obligent les lecteurs a être témoins de quelque chose qu’ils ne voudraient pas voir. Au départ, je n’avais aucune idée de la façon de trouver un équilibre entre ces deux buts opposés. Puis j’ai fini par découvrir que je pouvais me servir de l’argot sexuel du 18e siècle comme une sorte de paravent, qui même s’il restait explicite sonnait moins cru et obscène à nos oreilles puisque ses mots sont depuis longtemps tombés en désuétude.

 

 EXTRAIT

Ada fit de son mieux pour mettre le bateau hors d’atteinte de la marée, en criant après son frère qui titubait le long du chemin qui menait à la cabane. Lorsqu’elle y entra à son tour, il était déjà endormi sur leur lit. Il dormit si longtemps et dans une telle immobilité qu’Ada se dit que lui aussi aurait bien pu être mort devant elle. Elle s’assit de l’autre côté de la pièce jusqu’à la tombée du jour puis grimpa dans le lit de ses parents où elle resta allongée en chuchotant pour sa sœur morte afin de se tenir compagnie.
Evered ne s’éveilla que tard le lendemain matin. Il se redressa sur le lit et sembla ne plus savoir où il se trouvait avant d’apercevoir Ada. Elle resta à le fixer du regard un long moment sans rien dire.
— Quoi, Ada ? dit-il.

Elle désigna du doigt la tête de son frère, et celui-ci y porta la main.

— Tes cheveux, dit-elle.
Elle repensa à son père, penché sur le bord du bateau après qu’il eut confié leur mère aux profondeurs de l’océan, et à la neige qui avait recouvert son crâne comme un voile.
— Quoi, mes cheveux ?

— Sont devenus tout blancs, dit-elle. Blancs comme neige, aurait dit leur mère.

Ils étaient ainsi abandonnés dans l’anse, dans cette hutte en bois au plancher de terre battue, flanquée d’un potager où ne poussaient que tubercules, de rares constructions éparses, d’un cercle menaçant de collines alentour, d’un ruisseau aux eaux bouillonnantes, et d’une vue ouverte sur l’océan gris qui s’étendait par- delà les hauts-fonds. À leurs yeux, l’anse était le cœur et la somme de toute la Création, et ils étaient là laissés à eux-mêmes, dotés du peu de connaissance du monde extérieur qui avait pu leur parvenir ou qu’ils avaient glané par hasard.

L’océan, le firmament et toutes les étoiles de Dieu furent créés en sept jours. Les chiens du soleil sont porteurs de gros temps.
La mort d’un cheval, c’est la vie d’une corneille.
On ne s’endort jamais avant que le feu soit éteint.
La farine d’hiver et le porc salé doivent durer jusqu’à l’apparition des premiers phoques avec les glaces du mois de mars.
Les morts sont au paradis et le paradis se trouve parmi les étoiles.
Rien n’est immobile sous la surface de l’océan.
L’oisiveté est mère de tous les vices.
Leur petite sœur, morte innocente, est assise à la droite de Dieu et elle entend leurs prières.
Toute créature, sur terre ou en mer, peut être tuée et mangée.
Un corps doit supporter ce qu’il ne peut éviter.
 

PRESSE


Écrit dans une langue à la fois moderne et archaïque, Les innocents de Michael Crummey expose un mythe (re)fondateur qui nous force à remettre en question notre conception et notre compréhension de l'amour et de la mort, de la famille et de la solitude, de l'oubli et de la sagesse, de l'horreur et de la beauté, des corps et de la connaissance, de la violence et du désir. Offrant un récit ancré dans une singularité touchante et une simplicité déchirante, et ouvrant une fenêtre sur un passé lointain qui éclaire d’un jour nouveau des préoccupations alors omniprésentes telles que la survie et le sacrifice, le roman de Crummey possède pour le lecteur la capacité de changer sa vision du monde.

— Jury du Prix Scotiabank Giller


Du Hemingway dans ce roman terre-neuvien. Une des belles surprises de la rentrée ce sont Les innocents du romancier terre-neuvien Michael Crummey, […] il sait donner un supplément d’âme à ces personnages, ces deux enfants, Ada et son frère Evered orphelins des deux parents, et qui isolés dans une anse de la côte nord de Terre-Neuve, tentent de survivre.

— Culturehebdo.com


Une réflexion subtile sur la pérennité des cultures et les liens qui unissent les êtres.

— Anne-Frédérique Hébert Dolbec, Le Devoir


Récit fascinant qui se façonne au gré des marées et des vents, des saisons et des années qui s’écoulent, c’est aussi une plongée au cœur d’une relation fraternelle qui évolue, qui se trouble, qui se délite. Avec une plume imagée et un ton intimiste, Michael Crummey nous invite dans un univers riche, aussi imprévisible que grandiose.

— Chantal Fontaine (librairie Moderne), Les Libraires


Il vaut absolument le détour. […] C’est vraiment très très bien tourné.

— Jérémy Laniel, L'Actuel / Radio-Canada


S’il y a un auteur qui arrive à mettre en valeur les paysages de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est bien Michael Crummey, qui rend par la fiction historique un réel hommage à la terre qui l’a vu naître. Grâce à son don de savoir toujours instiller la juste dose de poésie, il arrive réellement à nous épater en nous parlant de morue, d’algues et de marées. 

— Josée-Anne Paradis, Les Libraires


Ce qu’il y a d’extraordinaire chez Crummey : sa capacité de nous émerveiller devant la nature grandiose et préservée de Terre-Neuve tout en nous rappelant son extrême dangerosité. On perçoit le même paradoxe au cœur de ses histoires et des légendes dont il s’inspire. Qu’importe le matériau initial si chaque fois que Crummey s’en empare, il en résulte ce qui ressemble à s’y méprendre à de l’or ? 

★★★★

— Thomas Dupont-Buist, Lettres Québécoises


Un roman riche en apprentissage, en courage, en résilience. Une lecture éprouvante à bien des niveaux par la beauté des paysages, par la force de ces deux jeunes protagonistes, par la rudesse de cette vie…

— Les lectures d’Azilis


Les libraires craquent

 
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MICHAEL CRUMMEY

Michael Crummey signe avec Les innocents son roman le plus ambitieux à ce jour, tant par la profondeur du propos que par le style si singulier avec lequel l’auteur le compose : une histoire fascinante de résilience témoignant de la générosité et de la barbarie du monde comme des merveilles et de l’étrangeté humaines. Il s’agit également d’une réflexion subtile sur la pérennité des cultures et sur les liens qui unissent et séparent les êtres.

Originaire de Terre-Neuve, Michael Crummey est l’auteur de nombreux livres souvent récompensés par des prix littéraires canadiens et internationaux. Les innocents est son deuxième roman traduit en français chez Leméac. En 2019, la version originale anglaise a été finaliste au prix Giller, au Rogers Writers’ Trust Fiction Prize et aux Prix littéraires du Gouverneur général. Il vit à Saint-Jean de Terre-Neuve.

Photo : Chris Miner.

Roman / Traduit de l’anglais (Canada) par Aurélie Laroche

Prix indicatif : 29,95 $

320 pages environ / 14 x 21,6 cm / ISBN : 978-2-7609-4820-4

En librairie le 26 août 2020

Également disponible au format numérique - ePub