ENTREVUE
D’OÙ VOUS EST VENUE L’IDÉE DE DÉPART POUR LES INNOCENTS ?
J’ai été inspiré pour écrire cette histoire par la découverte tout à fait fortuite d’un court rapport figurant dans les archives provinciales. Il s’agissait du compte-rendu, un simple paragraphe, rédigé par un homme d’Église qui lors d’une visite sur la côte nord de Terre-Neuve était tombé sur deux jeunes gens, un frère et une sœur, qui vivaient là. C’était à l’époque où la plupart des villages isolés étaient trop petits pour posséder leur propre église, et les membres du clergé se déplaçaient pour l’exercice du ministère. La jeune fille était de toute évidence enceinte et le pasteur a supposé, avec raison j’en suis sûr, que c’était l’œuvre de son frère. J’ai tout de suite entrevu un roman dans ce récit, mais je ne voulais pas être celui qui l’écrirait. Le sujet était si complexe et difficile à traiter que je ne pensais pas en être capable. J’ai tenté pendant des années d’oublier ces deux enfants, mais ils ne m’ont jamais vraiment quittés.
La solitude des deux orphelins dans Les innocents rappelle celle du personnage de Moses Sweetland dans votre précédent roman; l’aspect impitoyable de la nature et des éléments joue un rôle fondamental dans ce livre. Est-ce quelque chose qui à la fois vous hante et nourrit votre inspiration en tant qu’écrivain et aussi en tant que Terre-Neuvien ?
Je crois qu’il est impossible de grandir à Terre-Neuve sans acquérir une certaine sensibilité au pouvoir terrifiant et stupéfiant des éléments. Et en s’intéressant un peu à l’histoire de l’établissement des Européens sur l’île, il devient évident que ces gens étaient entièrement à la merci de forces qui dépassaient leur capacité à les contrôler, particulièrement sur l’océan. En tant qu’écrivain, voilà quelque chose qui m’a toujours fasciné. Faire de cette vulnérabilité inhérente à l’être humain un sujet d’écriture comporte une sorte de force brute. Avec le temps, je crois que cette expérience terre-neuvienne du monde s’est traduite en une espèce de métaphore de mon regard sur l’expérience humaine en général. En dépit de cette illusion de contrôle que la société moderne essaie de nous inculquer, nous sommes tous à la merci de forces extérieures.
Quel a été votre processus d’écriture pour Les innocents, et cela a-t-il été pour vous une expérience différente des précédentes ?
Chacun de mes romans a été une expérience différente aussi bien en ce qui a trait à la composition de l’intrigue qu’à mon état d’esprit pendant et après l’écriture. Les innocents a été écrit très vite, contrairement à mon habitude. J’ai commencé le 1er mars 2018 et j’ai écrit tous les jours pendant les trois mois et demi qui ont suivi. Après cette période, le plus gros du livre était achevé. En juin, j’ai soumis un premier jet à mon éditrice chez Doubleday et en octobre nous avions la version finale. Il a fallu sept mois du début à la fin; je n’en reviens toujours pas. L’expérience a eu quelque chose d’un peu hallucinatoire. Tout s’est passé si vite qu’en regardant le résultat, je me suis aperçu que j’avais oublié des pans entiers de ce que j’avais mis dans ce livre.
A-t-il été difficile d’écrire sur l’aspect sexuel de la relation qui se développe entre Ada et Evered ?
Pour être franc, c’est pour cette raison que je ne voulais pas essayer d’écrire le livre moi-même après être tombé sur l’histoire dans les archives. J’y voyais mille façons d’amener le récit en terrain glissant. Mais lorsque j’ai finalement décidé de m’y mettre, je me suis résolu à traiter cette relation sexuelle de manière explicite. Il est devenu évident que la grossesse allait jouer un rôle prépondérant dans le livre, ainsi que le sexe, même s’il n’est jamais vraiment évoqué. Je n’étais pas intéressé à simplement y faire allusion ou à contourner le sujet, mais j’étais en même temps déterminé à écrire les passages où il est question de sexe sans qu’il s’agisse d’un exercice de voyeurisme au détriment des deux enfants, ou qu’ils obligent les lecteurs a être témoins de quelque chose qu’ils ne voudraient pas voir. Au départ, je n’avais aucune idée de la façon de trouver un équilibre entre ces deux buts opposés. Puis j’ai fini par découvrir que je pouvais me servir de l’argot sexuel du 18e siècle comme une sorte de paravent, qui même s’il restait explicite sonnait moins cru et obscène à nos oreilles puisque ses mots sont depuis longtemps tombés en désuétude.
EXTRAIT
PRESSE
Écrit dans une langue à la fois moderne et archaïque, Les innocents de Michael Crummey expose un mythe (re)fondateur qui nous force à remettre en question notre conception et notre compréhension de l'amour et de la mort, de la famille et de la solitude, de l'oubli et de la sagesse, de l'horreur et de la beauté, des corps et de la connaissance, de la violence et du désir. Offrant un récit ancré dans une singularité touchante et une simplicité déchirante, et ouvrant une fenêtre sur un passé lointain qui éclaire d’un jour nouveau des préoccupations alors omniprésentes telles que la survie et le sacrifice, le roman de Crummey possède pour le lecteur la capacité de changer sa vision du monde.
— Jury du Prix Scotiabank Giller
Du Hemingway dans ce roman terre-neuvien. Une des belles surprises de la rentrée ce sont Les innocents du romancier terre-neuvien Michael Crummey, […] il sait donner un supplément d’âme à ces personnages, ces deux enfants, Ada et son frère Evered orphelins des deux parents, et qui isolés dans une anse de la côte nord de Terre-Neuve, tentent de survivre.
— Culturehebdo.com
Une réflexion subtile sur la pérennité des cultures et les liens qui unissent les êtres.
— Anne-Frédérique Hébert Dolbec, Le Devoir
Récit fascinant qui se façonne au gré des marées et des vents, des saisons et des années qui s’écoulent, c’est aussi une plongée au cœur d’une relation fraternelle qui évolue, qui se trouble, qui se délite. Avec une plume imagée et un ton intimiste, Michael Crummey nous invite dans un univers riche, aussi imprévisible que grandiose.
— Chantal Fontaine (librairie Moderne), Les Libraires
Il vaut absolument le détour. […] C’est vraiment très très bien tourné.
— Jérémy Laniel, L'Actuel / Radio-Canada
S’il y a un auteur qui arrive à mettre en valeur les paysages de Terre-Neuve-et-Labrador, c’est bien Michael Crummey, qui rend par la fiction historique un réel hommage à la terre qui l’a vu naître. Grâce à son don de savoir toujours instiller la juste dose de poésie, il arrive réellement à nous épater en nous parlant de morue, d’algues et de marées.
— Josée-Anne Paradis, Les Libraires
Ce qu’il y a d’extraordinaire chez Crummey : sa capacité de nous émerveiller devant la nature grandiose et préservée de Terre-Neuve tout en nous rappelant son extrême dangerosité. On perçoit le même paradoxe au cœur de ses histoires et des légendes dont il s’inspire. Qu’importe le matériau initial si chaque fois que Crummey s’en empare, il en résulte ce qui ressemble à s’y méprendre à de l’or ?
★★★★
— Thomas Dupont-Buist, Lettres Québécoises
Un roman riche en apprentissage, en courage, en résilience. Une lecture éprouvante à bien des niveaux par la beauté des paysages, par la force de ces deux jeunes protagonistes, par la rudesse de cette vie…
— Les lectures d’Azilis
Les libraires craquent
Roman / Traduit de l’anglais (Canada) par Aurélie Laroche
Prix indicatif : 29,95 $
320 pages environ / 14 x 21,6 cm / ISBN : 978-2-7609-4820-4
En librairie le 26 août 2020
Également disponible au format numérique - ePub