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Vous avez peur des araignées, du vide, du regard des autres, de la maladie. Qu’on vous trahisse, qu’on vous abandonne, que les prédictions de la petite gitane se réalisent. Vous arrêtez de fumer, vous fuyez les insectes et les confidences médicales, vous évitez de monter sur scène, de prendre l’avion, de tomber amoureux, de vous pencher au balcon. Vous ne passez pas le permis de conduire et vous commencez les romans par la fin, un peu comme on mettrait une ceinture de chasteté. Vous croyez que vous êtes paré, qu’on ne pourra jamais vous prendre au dépourvu, qu’il ne vous arrivera rien. Mais un matin vous découvrez que vous avez un papillon dans la poitrine, vous le sentez battre des ailes. Vous n’allez pas pouvoir faire mine de l’ignorer...

 

 EXTRAIT

« Les phobiques savent cela : la présence de l’araignée dans votre chambre est bien plus abjecte que l’araignée elle-même. J’ai vécu dans des pays où les araignées sont plus sacrées que les vaches en Inde parce qu’elles sont censées porter bonheur, je peux bien vous le dire : ce qui est infâme dans l’araignée, c’est qu’elle était là, tandis qu’on se croyait seul. On se croyait en sécurité lové dans son lit, ou l’esprit vagabondant librement entre les quatre murs d’un bureau, et voilà que cette chienne d’araignée vous lorgnait d’un œil malicieux, comme une webcam bien planquée elle s’était introduite dans votre intimité et vous l’ignoriez. La panique devant l’araignée vous conduit, une fois que vous l’avez écrabouillée contre un mur blanc, à chercher frénétiquement si par hasard ses consœurs ne continueraient pas à vous narguer dans un coin. Parce qu’il y a pire que d’être colonisé par une araignée – ou une tumeur – c’est d’être colonisé en ignorant qu’on l’est. Être, finalement, le dindon de la farce. Cette araignée, cette tumeur, c’est l’œil de Dieu. C’est ainsi qu’on appelle, dans la tragédie antique, l’ironie tragique : vous savez, ce pauvre Œdipe qui promet de tuer l’assassin de son père... Les spectateurs savent bien que c’est lui-même qui a tué Laïos... Il n’y a que lui, pauvre idiot, pour l’ignorer de bonne foi. L’hypocondriaque, comme l’arachnophobe, craint plus que tout le piège de l’ironie tragique, et la vexation ultime qu’éprouve Œdipe lorsque le piège se referme sur lui. Alors, plutôt que de profiter des moments de sérénité qui lui restent avant que s’introduise une araignée dans sa chambre, un rival dans son couple ou une tumeur dans sa poitrine, il préfère anticiper la présence du parasite, afin de n’être pas surpris le jour où parasite il y aura. L’hypocondriaque ne craint rien tant que d’être pris au dépourvu. »
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CLAIRE LEGENDRE

Entre essai et récit, Le nénuphar et l’araignée explore les mécanismes, les sources, les symptômes de l’angoisse, de sa forme la plus intime à la plus ordinaire.

Claire Legendre est née à Nice en 1979. Après avoir soutenu une thèse de doctorat en littérature comparée et études théâtrales à l’Université de Nice, elle a vécu à Rome et à Prague, où elle a animé un atelier d’écriture. Elle vit et enseigne la création littéraire à Montréal depuis 2011. Son œuvre littéraire comprend Making-of (1998), Viande (1999), La méthode Stanislavski (2006), L'écorchée vive (2009), Vérité et amour (2013) et Bermudes (2020).

Photo : Lou Scamble.

Récit / Collection « Nomades » / Prix indicatif : 8,95 $

120 pages environ / 10,8 x 17,7 cm / ISBN : 978-2-923682-69-3

En librairie le 2 septembre 2020

Également disponible au format numérique - ePub