Écosse, 1804. Sur la petite île de Lewis, Norman Morrison a toujours le regard tourné vers l’horizon. Pour un simple paysan comme lui, la seule façon d’échapper à son destin est de s’engager dans l’armée. C’est donc la tunique rouge sur le dos qu’il part à l’aventure pour se battre contre les soldats de Napoléon. Des plaines étouffantes de la Calabre aux nuits torrides de la Sicile, en passant par les feux brûlants de l’Égypte, Morrison et ses frères d’armes découvriront un nouveau monde aussi excitant que terrifiant, où le danger et la mort côtoient la passion et la camaraderie. À voler trop près du soleil, plusieurs d’entre eux ne reviendront jamais de ce voyage. Les autres retourneront en Écosse éclopés ou traumatisés, découragés par la difficulté de reprendre une vie normale après une expérience aussi intense. Car il y a toujours un prix à payer pour ceux qui ont le goût du loin.

 PRÉSENTATION

Ce roman s’inscrit dans un projet ambitieux intitulé « La saga Mégantic », qui présente cinq générations de la famille écossaise des Morrison, de 1804 à 2013. Ces pionniers, ainsi que leurs compatriotes, ont fait partie des premiers colons de la région du lac Mégantic. Leur histoire est intimement liée au développement des Cantons-de-l’Est, particulièrement celle de Donald Morrison (1858-1894), surnommé le « hors-la-loi de Mégantic », un héros populaire très réel dont les aventures ont défrayé les journaux de cette époque.

Chaque volet de cette saga se concentre sur une génération, et propose un récit complet et autonome. Mis bout à bout, ces cinq romans raconteront une immense fresque historique et familiale à travers laquelle on découvrira des facettes méconnues de l’histoire des Cantons-de-l’Est, du Québec et du Canada.


EXTRAIT

Le révérend Alexander Simpson fixe avec impatience le coucher de soleil en grignotant un morceau de fromage de brebis. Les journées à cette latitude sont longues : dix-huit heures de lumière au solstice d’été. Un horaire épuisant pour les fermiers, et inconvénient pour le pasteur, qui attend toujours qu’il fasse nuit pour boire un petit coup, persuadé que la noirceur dissimule les péchés. Car, si Dieu a créé la lumière avant toute chose, c’est qu’Il en avait besoin pour voir, non ?

Le saint homme remarque alors deux silhouettes qui marchent le long de la rive du loch Eireasort. Content, il s’époussette et se redresse pour se donner un peu d’autorité, sachant que son menton fuyant et ses joues creuses ne suffisent pas. Il va à la rencontre des deux hommes d’un pas assuré.

Finlay MacArthur et Neil MacKenzie, qui reviennent d’une longue journée à la ferme du vieux Matheson pour l’aider à labourer, sont surpris de voir le révérend venir vers eux. Aussitôt, Finlay regrette de ne pas être allé à l’église ces derniers temps. Neil, de son côté, cherche à s’inventer une excuse pour avoir travaillé un dimanche.

— Mes amis, je suis content de vous voir, lance Simpson en ouvrant les bras. J’ai une petite faveur à vous demander, en toute humilité.

Soulagé de voir le pasteur si bien disposé, Neil n’hésite pas.

— On est à votre service, mon père !

Après avoir jeté un coup d’œil autour d’eux pour s’assurer qu’il n’y avait pas de témoin à leur échange, Simpson s’approche de ses deux interlocuteurs avec un air de conspirateur.

— Mes amis, c’est aujourd’hui le jour du Seigneur, et un serviteur de Dieu se doit de respecter rigoureusement le sabbat.

Les lurons se crispent, croyant qu’il s’agit là du prélude à un sermon lourd de reproches. L’air coquin du révérend les rassure.

— Comme je ne peux point travailler en ce jour, je suis un peu dans l’embarras. On m’a bêtement livré un tonneau de whisky à l’église, et je voudrais le transporter chez moi, car il n’y a pas de place pour l’alcool dans la maison du Tout-Puissant. Pourriez-vous le déplacer pour moi ? Je vous en offre une bouteille chacun comme salaire.

— Tout pour vous aider, mon père ! lance généreusement Finlay, qui n’en revient pas de cette chance inespérée.

Avec un grand sourire, le prédicateur leur fait signe de le suivre au temple tout neuf construit sur une presqu’île pittoresque, où un quai permet aux ouailles de venir écouter la bonne parole en bateau des quatre coins de Lewis.

En suivant le saint homme, les camarades s’échangent un clin d’œil complice. Simpson mène ses deux brebis à une porte aménagée à l’arrière de l’église de pierre.

— C’est ici.

Finlay et Neil entrent sans hésiter, pressés d’en finir avec cette dernière corvée pour en savourer la paye. Mais, au lieu d’un tonneau de whisky, ils se retrouvent devant cinq hommes armés. L’un d’entre eux est un militaire portant la tunique rouge, le kilt et un béret à damier. Son poing agite une longue lame sous le nez des deux lascars.

— Le lieutenant James MacPherson vous remercie tous les deux de vous porter volontaires pour le 2e bataillon du 78e régiment d’infanterie de Sa Majesté !

Abasourdis, les jeunes hommes reculent mais se font bloquer le chemin par deux fiers-à-bras. Ils sont coincés. Neil cherche une issue mais n’en trouve pas. Finlay a déjà renoncé. Les deux amis baissent la tête d’un air défait. Les matamores les prennent par le bras pour les tirer au grand air tels des pêcheurs de thon. Sous un ciel de brunante, le petit groupe se dirige vers le quai, où l’attend une barque. Au passage, la paire de victimes lance un regard pitoyable au révérend. Celui-ci répond en leur faisant un signe de croix de la main droite. Puis il tend la gauche vers le sergent recruteur. Ce dernier fouille dans le sporran en peau de chèvre attaché à sa ceinture et en sort dix guinées, qu’il remet à Simpson.

— Que Dieu soit avec vous ! lance le pasteur en recevant sa commission.

Il rentre à l’église, tournant le dos à la scène. Le soleil est maintenant couché. Il peut enfin boire son petit coup.
— Le goût du loin, Emmanuel Aquin

PRESSE

Chaque fois qu’il entreprend un projet romanesque, Emmanuel Aquin — reconnaissable par son style baroque, grinçant et hautement imagé — semble investir les moindres recoins de sa pensée, poussant sa réflexion, sa plume, son érudition à leur paroxysme.

— Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, Le Devoir


EMMANUEL AQUIN

Romancier, scénariste, illustrateur, graphiste et concepteur de jeux, Emmanuel Aquin a fait une entrée fracassante en littérature avec la trilogie Incarnations - Désincarnations - Réincarnations (1990-1992). Le goût du loin est le premier volet d’un vaste projet romanesque aux accents historiques.

Photo : Julie Pellan.

Roman / Prix indicatif : 35,95 $

448 pages environ / 14,5 x 24 cm / 978-2-7609-4908-9

En librairie le 7 septembre 2022

Également disponible au format numérique - ePub