Installés chacun dans un condo qui jouxte ceux des autres, quatre jeunes adultes ritualisent leur quotidien avec soin – exercice, déco, cuisine, travail –, récitant avec une conviction suspecte les poncifs d’une époque qui les a modelés. Une série d’incidents les plonge dans un déroutant retour à la nature...

Comment vivre seul, comment vivre en communauté lorsqu’on est envahi par le regard des autres et par son propre regard ? Tranchant, souriant, cruel, voici un texte qui a la finesse d’une miniature, et qui ausculte le monde, sa grâce et sa folie, dans des répliques nettes où la détresse affleure partout sous l’ironie.

 PRÉSENTATION

Cette pièce, qui a valu à l’autrice de remporter le prix Gratien-Gélinas 2019, a été présentée en lecture publique en janvier 2020 à l’occasion de « Divans-lits, rencontre avec un processus de création », un événement organisé par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD). Elle sera créée par le Théâtre PàP au Théâtre de Quat’Sous, dans une mise en scène de Solène Paré, lorsque la situation sanitaire le permettra.


EXTRAIT

Le condo de June. June parle à son spectateur imaginaire.

JUNE. C’est mieux comme ça, je trouve.
Avec la lumière, l’espace, les volumes...
C’est plus équilibré.
Pas qu’avant, c’était déséquilibré,
je trouvais pas ça laid.
Mais je préfère maintenant.
C’est plus fluide.
Est-ce qu’on peut dire ça,
qu’un espace est fluide ?
En tout cas, je me comprends.
L’espace vide autour de moi fait paraître mon corps
plus petit.
Je me sens moins lourde,
plus délicate.
Comme si je flottais...
Une fée.
Pis c’est ergonomique, aussi.
User friendly.
Mon espace est mon ami.

Le condo de Bianca. Bianca parle à son spectateur imaginaire.

BIANCA. Ça m’arrive d’acheter des légumes congelés.
Pas à chaque fois que je fais l’épicerie, mais ça m’arrive.
C’est sûr que c’est moins bon que des légumes frais,
mais avec le climat qu’on a, faut être réalistes...
L’hiver,
j’aime mieux manger du brocoli congelé que pas de brocoli du tout.
Surtout que j’ai tendance à avoir des carences en fer,
la semaine suivant mes règles particulièrement.
Je mange très peu de viande rouge,
je suis pratiquement végétarienne.
Un morceau de poisson par-ci,
une pièce de viande d’élevage par-là.
Sans plus.
Les légumes verts sont très importants dans mon alimentation.
Faque oui, j’achète des légumes congelés.
C’est tellement pratique.
Y existe même des paquets faits exprès pour confectionner telle ou telle recette :
sauté asiatique,
lasagne,
macaroni chinois.
Name it.
Pus besoin de se casser la tête.
Tu choisis le sac adapté à ton projet culinaire,
tu prends la quantité que tu veux,
tu refermes le sac hermétiquement,
pis tu le ranges.
La fois d’après, sont là.
Encore frais.
Encore verts.
Y t’attendent.
Quand t’as besoin d’eux, sont tout le temps là.

Le condo d’Ingrid. Ingrid parle à son spectateur imaginaire.

INGRID. C’est sûr que c’est une discipline à avoir :
y a personne qui va venir te chercher chez toi,
personne qui va te chicaner si tu le fais pas,
personne qui va te mettre un gun sur la tempe
pour que tu bouges ton gros cul de ton canapé modulaire.
Ça dépend de toi.
De toi pis de ta volonté.
Ça peut avoir l’air inatteignable au début, c’est normal.
Mais plus ça va,
plus c’est facile,
pis moins c’est un effort.
Comme moi :
j’ai pus besoin de me forcer, jamais.
C’est devenu une seconde nature,
un réflexe de Pavlov.
Mon corps le réclame, chaque jour.
De tous ses organes,
de toutes ses articulations,
de tous ses tissus adipeux et musculaires,
il crie :
EXERCICE PHYSIQUE.
— L'art de vivre, Liliane Gougeon Moisan

PRESSE

« Je m’interroge sur le regard de l’autre, sur le souci de se conformer à ce qui est attendu de nous et en même de temps sur le besoin de se rebeller contre cet ordre établi. Je suis fascinée par la manière dont plusieurs de mes contemporains se mettent en scène, consomment des façons d’être et d’agir, des modes de vie. »

— Liliane Gougeon Moisan en entrevue, Le Devoir

Je souhaitais surtout, avec L’art de vivre, poser une question (ou, plutôt, des questions) : est-il possible de vivre autrement, d’abattre les murs qui nous enferment ? Est-il envisageable d’inventer un autre monde, et une nouvelle façon de l’habiter ? Pour ce faire, doit-on se soustraire à la société telle qu’on la connaît ? Est-ce là une entreprise nécessaire, utopique, égoïste ?

— Liliane Gougeon Moisan en entrevue, L’Actualité

LILIANE GOUGEON MOISAN

Après des études en création littéraire et en linguistique, Liliane Gougeon Moisan a été formée en Écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada. Elle s’intéresse également à l’écriture télévisuelle, à la traduction et à la mise en scène.

Photo : Maxime Côté.

Pièce de théâtre / Collection « Théâtre Leméac » / Prix indicatif : 13,95 $

104 pages environ / 12,7 x 19,6 cm / 978-2-7609-0483-5

En librairie le 26 janvier 2022

Également disponible au format numérique - ePub