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George Cartwright : gentleman, aventurier, soldat et chasseur. Mort, aussi, dans son Angleterre natale, le 19 mai 1819, jour que son esprit errant revit sans cesse depuis cent soixante-dix ans, avec pour seule compagnie son faucon et son cheval. Observant le monde poursuivre sa course, Cartwright se remémore sa vie. De sa première affectation militaire en Inde à son passage dans l’armée prussienne, en passant par son commerce et son entreprise de pêche dans les terres vierges du Labrador, son récit emmène le lecteur dans un voyage époustouflant à travers ses succès et ses déceptions.

En revivant sa première traversée vers le Labrador, ses plans ambitieux pour favoriser le commerce avec les Inuits et son installation sur place, Cartwright comprend peu à peu pourquoi il reste confiné dans sa solitude. Malgré la noblesse de ses intentions, après la fin désastreuse de sa relation avec l’Inuite Caubvick et son peuple, Cartwright perd un à un tous ceux qui lui importaient. Après cent soixante-dix ans passés à revivre la même journée, il touche enfin à la sérénité dans la conclusion surprenante et mystifiante de ce roman étonnant.

 

 PRÉSENTATION

Dans ce livre remarquable publié pour la première fois en 1992, John Steffler recrée une époque et un lieu perdus en donnant vie à une figure énigmatique de l’histoire canadienne.

 
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QUATRE QUESTIONS À JOHN STEFFLER À PROPOS DE L’APRÈS-VIE DE GEORGE CARTWRIGHT

Q : Vous êtes connu au sein des lettres canadiennes principalement comme poète, ce qui dans une certaine mesure transparaît dans votre roman. Cette œuvre d’imagination est aussi une réflexion sur la vie solitaire en même temps qu’elle reflète la quête d’un individu qui n’a de cesse de s’ouvrir au monde. C’est seulement une fois mort que Cartwright peut prétendre à la reconnaissance. Comment vous est venue l’idée de L’après-vie de George Cartwright ?

John Steffler : Peu de temps après mon installation à Terre-Neuve en 1975, j’ai lu son journal du Labrador. J'ai été frappé par la clarté et l'urgence de son écriture, par sa façon d’exprimer son caractère aventureux tout en livrant un témoignage de première main sur une partie de l'Amérique du Nord qui, jusqu'alors, avait eu peu de contacts avec les Européens. J'ai immédiatement eu envie d'écrire quelque chose à partir de sa vie. Je ne pensais pas en termes de genre ; je ne l'ai appelé roman que plus tard. Cartwright me semblait incarner la réponse occidentale à la nature sauvage. Il s'est plongé dans le Labrador avec passion, il en a aimé le peuple et les paysages - ils lui offraient à l’infini liberté, découverte; tout un monde de possibles  - mais l’effet destructeur et exploiteur de son impact est indéniable. Entre autres choses, il est responsable de l'introduction de la variole au Labrador. Dans mon livre, j'imagine Cartwright piégé dans l'au-delà, passant en revue sa vie tandis qu’il cherche à tourner la page. J'ai choisi ce point de vue narratif car, que je le veuille ou non, son fantôme m’habite et je suis porteur de son héritage culturel. En retraçant sa vie, je partage son existence post-mortem et son désir d'expiation.

 
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Q : Parmi les nombreux éléments du livre, on ne peut s’empêcher de remarquer certains thèmes largement débattus aujourd’hui, mais qui à l’époque de sa publication (1992) n’étaient pas au premier plan des préoccupations sociales. Qu’on pense en particulier aux relations entre lieux et cultures, aux questions environnementales, ou encore à l’identité.  Vous considérez-vous comme précurseur sur ce chapitre ?

JS : Je ne me suis jamais considéré comme un précurseur. Même dans les années 1960, il y avait un mouvement de retour à la terre qui faisait partie de l'opposition contre-culturelle à la culture industrielle et commerciale qui dominait le monde occidental. Printemps silencieux de Rachel Carson, qui dénonçait les ravages environnementaux causés par le DDT et autres produits chimiques nocifs, a été publié en 1962. Au moment où j'écrivais L’après-vie de George Cartwright, beaucoup étaient déjà très critiques à l’égard du colonialisme, de l'inégalité des sexes, de l'injustice raciale et de l'exploitation non durable de l'environnement. Mais ces préoccupations me sont venues naturellement ; j'ai grandi dans une région rurale juste au nord de Toronto et j'ai vu la ville en expansion transformer et dominer le paysage qui m'entourait. J'ai déménagé à Terre-Neuve pour échapper à la ville prisonnière du culte de la machine, et vivre dans un monde où les éléments naturels (océan, forêt, climat) étaient encore prédominants. Il est vrai, cependant, que dans les années 1990, face à un public urbain, j'ai eu l'impression de devoir justifier mon intérêt pour le monde naturel et les modes de vie traditionnels ; mes préoccupations semblaient alors être considérées comme marginales et régionales ; maintenant, elles sont plus courantes.

 
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Q. : A-t-il été plus facile de dépeindre un personnage aussi singulier que Cartwright en utilisant un angle narratif fantastique plutôt que conventionnel ?

JS : Oui, en lisant ses journaux, j'ai été frappé par la personnalité fascinante et complexe de Cartwright et par la façon dont il se démarque lui-même dans l'image qu'il offre du Labrador précolonial et des évènements auxquels il participe. Contrairement à de nombreux explorateurs et colons, Cartwright n'agissait pas au nom d'un gouvernement ou d'une grande industrie. C'était un flibustier, un aventurier et un entrepreneur solitaire, un excentrique plus grand que nature - curieux, étrangement intrépide, un électron libre ingénieux et drôle, à certains égards exceptionnellement ouvert d'esprit, mais en même temps imprudent et aveugle. Il a su gagner ma sympathie alors même que je déplorais ses actes. J'ai voulu faire ressortir les complexités et les conflits qui l'animaient - les contrastes flamboyants de sa personnalité, la dimension quasi mythique du personnage - non seulement dans les détails, mais aussi dans le cadre général du récit. J'ai imaginé Cartwright non pas comme un nom dans un aride livre d'histoire, mais comme un fantôme incarné, chassant au faucon sur son cheval, confiné à l'année 1819, passant progressivement en revue la vie qu'il a laissée derrière lui.

 
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Q. : Vous avez vécu assez longtemps à Terre-Neuve, et en tant que poète, la nature est inévitablement pour vous une source d’inspiration; ce livre en témoigne. Vous fascine-t-elle et vous habite-t-elle toujours ? 

JS : Oui. Je me suis toujours intéressé à la relation entre culture et nature, entre l'humain et l'animal, la technologie et l'espace naturel, à ce qui est domestiqué et ce qui reste à l'état sauvage, et à la nature de l'identité humaine. La question de savoir jusqu'où nous nous inventons nous-mêmes et sommes liés à la technologie, et dans quelle mesure nous pouvons nous adapter en tant que partie intégrante du monde naturel me préoccupe également. Avec la crise environnementale actuelle, j'ai le sentiment que ma propre relation à la nature a changé. Je pensais que ma voix poétique sous-tendait une harmonisation de ma conscience à mon environnement naturel - me fondre temporairement dans le présent - et une incarnation presque simultanée de cette expérience dans le langage ; cela conduisait souvent à une célébration ou à une description enchanteresse des phénomènes naturels. Mais j'ai maintenant le sentiment que le chagrin et la honte partagée en tant que membre d'une culture vouée à la technique m'empêchent de profiter pleinement de la beauté du monde naturel. J'ai beau me persuader de continuer à louer la splendeur et le caractère sacré de la nature, la tâche reste difficile pour peu qu'on s'attarde aux nouvelles désastreuses qui nous parviennent au quotidien.

 
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EXTRAIT

Même s’il s’est arrêté pour lui, Cartwright sait que juste sous la surface de ce qui l’entoure, le temps a continué de filer à une vitesse démentielle. Il a découvert que le temps est comme le bruit – que le passé ne disparaît pas, mais qu’il nous encercle dans des couches semblables à une suite infinie de voix, et que la voix la plus proche, la plus récente, engloutit celles qui se sont éteintes avant elle. Et tout comme il est possible de s’asseoir sur un banc dans une ville pour lire un livre, ignorant la rumeur complexe autour de soi, puis de lever les yeux de la page et de saisir au milieu du vacarme la voix d’un camelot deux rues plus loin, Cartwright peut parfois capter un détail issu du passé ou du cours du temps et, en s’y concentrant, devenir le témoin d’un évènement quelconque dans les affaires des morts ou des vivants.
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JOHN STEFFLER

Originaire de Toronto, John Steffler a enseigné dans plusieurs universités du Canada. Il est l’auteur d’une œuvre poétique importante et a été poète officiel du Parlement du Canada de 2006 à 2008. La version anglaise de L’après-vie de George Cartwright a remporté lors de sa parution le Smithbooks/Books in Canada First Novel Award, ainsi que le Thomas Raddall Atlantic Fiction Award.

Photo : Susan Gillis.

Roman / Prix indicatif : 34,95 $

400 pages environ / 14 x 26,1 cm / 978-2-7609-4863-1

En librairie le 29 septembre 2021

Également disponible au format numérique - ePub