ENTREVUE AVEC TASSIA TRIFIATIS-TEZGEL
Parlez-nous de la genèse de Créatures Primordiales.
La genèse de ce livre part en fait d’une question: “Quand sait-on que le temps est venu de partir… et donc d’arriver ailleurs?” Créatures Primordiales est une sorte de fable sur les arrivées et les départs de la vie. Et aussi sur ce qui se passe entre les deux. Il faut savoir lire dans le Temps afin d’arriver ou de partir au moment opportun et surtout, pour les bonnes raisons. Entre la grande arrivée humaine qui est la Naissance et le grand départ logé dans la Mort, il y a toutes sortes de petites allées et venues parsemant l’existence. Les déplacements géographiques, les changements dus à l'âge, aux occupations, aux états de l’esprit et du corps. Le départ d’une vie sans enfant vers une vie avec, par exemple. J’ai changé de pays deux fois, j’ai voyagé beaucoup, mais il n’est pas nécessaire de se rendre bien loin pour vivre des arrivées et des départs: parfois, ce sont les venues de nouveaux amis et les au revoir faits à certaines personnes, à des circonstances ou à des lieux familiers.
Quel a été votre processus d’écriture pour ce nouveau roman?
Lorsque je suis partie pour la Turquie en 2011, c’était pour écrire ce livre. L’idée première des Créatures: une femme a comme mandat de mener une recherche à terme à Istanbul. Mais finalement, c’est un autre livre que j’ai écrit sur place: le récit de voyage Les Platanes d’Istanbul. Après 3 ans passés dans la mégapole, je suis venue m’établir à Toronto sans avoir terminé le roman. Et j’ai continué ma route. Sur cette route, ma protagoniste Sofronia a continué sa recherche elle aussi pour comprendre qu’elle n’avait pas pu la terminer à Istanbul. Les Créatures sont nées il y a 10 ans à mon arrivée à Istanbul alors que je ne savais pas encore qu’il se terminerait à Toronto. L’histoire a muté, s’est métamorphosée au rythme des fluctuations de la vie. Des personnages ont changé de noms et de quêtes. C’est en habitant à Toronto que j’ai compris que j’avais eu besoin des deux villes pour mener à terme les Créatures, d’où les deux parties du roman “Arrivées” et “Départs”. Lorsque j’ai recommencé à écrire les Créatures après la parution de mon récit de voyage, je me suis vite rendu compte que le reste du roman était dans mes nombreux cahiers de notes accumulés pendant mes années à Istanbul. J’ai donc ajouté les créatures stambouliotes aux créatures torontoises, et ensemble elles sont devenues primordiales.
Y a-t-il une part autobiographique au livre?
Les grandes lignes le sont en quelques sortes… celles d’un départ pour Istanbul puis d’une arrivée à Toronto. La naissance d’un enfant aussi. La charpente du livre a été construite à même mes déplacements, mais jamais dans le but de partager un pan de ma vie. Ce livre pour moi est plutôt un microcosme des voyages humains, une fable sur la mouvance et des découvertes qui en découlent. L’autobiographie ou la biographie est un “écrit qui a pour objet l’histoire d’une vie particulière.” L’objet de mon livre n’est pas mon histoire. L’observation du microcosme de mes allées et venues dans le monde m'a porté vers l’écriture de ce livre, mais cette vie particulière qui est la mienne est plutôt une excuse pour écrire une parabole sur les créatures présentes en chacun de nous.
Comment vous est venu le titre?
Le titre m’est venu d’un cadeau. Un livre que j’ai reçu peu avant mon départ pour Istanbul, alors que je ne savais même pas que je m’y rendais. Il était question de la question “des créatures primordiales” d’un point de vue archétypal, psychanalytique. Au fil des années, je me suis approprié la définition même de l’expression. Entre les arrivées et les départs, lorsqu’on n’a plus de repères et qu’on est loin de ce qui forge notre identité: que nous reste-t-il? À deux reprises et dans des endroits et circonstances différentes, ma protagoniste doit se repositionner dans le monde. Les créatures primordiales sont les outils nous permettant à parvenir à ce positionnement.
Si on enlève à une personne l’opportunité de vivre dans sa langue maternelle, dans les lieux qu’elle connaît, dans la culture dans laquelle elle se sent confortable, d’évoluer dans son champ de compétence, tout ce qu’on appelle l’identité… que reste-t-il?
Les créatures primordiales, c’est ce qui reste avec soi lorsqu’on est déracinés ou que l’on s’est déraciné. Ce qu’il reste de nous lorsque les repères premiers sont pour un instant introuvable. Mais sous les points identitaires “de surface”, il y a l’identité des grandes profondeurs, les créatures primordiales. Ces outils que nous choisissons pour nous bâtir et nous rebâtir autrement, peu importe, les sols.
Où situeriez-vous ce livre dans votre parcours d’écrivaine?
Il faut demander au Temps: c’est lui qui le dira.
EXTRAIT
PRESSE
Vous aimez le déroutant, alors vous êtes comme un addict au sucre dans une bonbonnière. Dire que nous avons aimé est un euphémisme. On a adoré.
— Culturehebdo.com
Roman / Prix indicatif : 20,95 $
160 pages environ / 14 x 21,6 cm / ISBN : 978-2-7609-4851-8
En librairie le 17 mars 2021
Également disponible au format numérique - ePub