« J’ai quatorze ans. J’aime les filles qui mangent la peau comme des bons fruits et se lovent dans la glaise quand le plaisir les terrasse ; ophidiennes qui creusent l’argile du dos. J’aime les garçons au plaisir ondoyant de rivière, qui ne savent plus quelles rondeurs tenir des seins ou des fesses ou des cuisses ou des joues, tant leurs mains sont petites et grande leur faim. »

Dans un couvent construit de mains de femmes aux confins de la forêt boréale, vingt-quatre soeurs donnent naissance à une fillette qui grandira en apprenant la langue et les lois d’Ina Maka, la Terre-Mère. À quelque distance de ce couvent, une ouvrière de la mine Kohle Co. meurt en couches, laissant un poupon albinos à son père qui, à se tuer au travail, le fera médecin.

PRÉSENTATION

Le roman retrace la rencontre, l’accouplement et le destin de deux êtres dissemblables, Daã et Laure, et celui de leur progéniture. Il transporte les odeurs de la taïga et les bruits de la ville ; des histoires de femmes en fuite, de débâcle et d’enfants écartés. Il remonte aux origines d’une lignée dont sortira la Noé d’Oss et du Corps des bêtes.

 

 EXTRAIT

Je reste, portes closes, entre ceux de mon clan ; ourse d’hiver qui dort et se laisse téter.
J’ai la fatigue large d’une qui se fait manger par sa fille. Engourdie, j’écoute les bruits de la bise, mats ou cassants contre les carreaux. La neige tombée du nord m’annonce la mort lente de ma mère Betris, puis celle brève, saisissante, de mes mères Elli et Silène, chues l’une sur l’autre dans la glace noire des sentes. Plus près, les cristaux des étangs, les mésanges, les jaseurs parlent d’éteules gelées, d’achènes, suif, miettes, de secrètes amours : jupes renversées, mains chaudes, cuisses froides.
La petite croît longue, souple comme la prêle. Je l’allaite, je couve, je dévore : mon corps connaît tout seul ses devoirs mammifères. Chaque jour les enfants vont et viennent, ils me racontent des histoires de village ; Lélio dit celles de Kangoq enneigé, Boïana celles d’un pays disparu sous les plumules. La troisième fait son travail de faon. Elle dort, elle tète et son humeur a la constance des glaces.
Le froid passe sans que je l’aie senti ; j’ai été, comme naguère blessée, dans un demi-sommeil, soumise à la parole des miens, sans volonté qui me tire, sans allant, dans la fatigue seule et la voracité de ma noire, Minushiss, mon innommée, ma chatte d’automne.
Le printemps ramène les lumières égales de ma naissance et je ne sais plus mon âge.
— Blanc Résine, Audrée Wilhelmy

AUDRÉE WILHELMY

Audrée Wilhelmy est née à Cap-Rouge en 1985. Son œuvre, aussi publiée en France, lui a jusqu’ici valu de remporter le prix Sade 2015 et d’être finaliste à de nombreuses distinctions : Prix littéraire des collégiens, Grand Prix du livre de Montréal, Prix des libraires du Québec, Prix littéraires du Gouverneur général du Canada, prix France-Québec.

Photo : Audrée Wilhelmy.

Roman / Collection « Nomades » / Prix indicatif : 18,95 $

400 pages environ / 11 x 17,6 cm / ISBN : 978-2-7609-3714-7

En librairie le 6 septembre 2023

Également disponible au format numérique - ePub