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En 1925, la grande Ti-Lou, la célèbre Louve d’Ottawa, rentre à Montréal. Après une carrière fructueuse au Château Laurier, dans la suite royale où elle a reçu diplomates et hommes du monde, politiciens et ministres du culte, elle plie bagage et file en douce, ses valises rondes d’une épargne acquise au prix de son corps. Diabétique impénitente, toujours fantasque, damsel in distress, Louise Wilson-Desrosiers aura été une guidoune fière, libre, exemplaire...

Lorsqu’elle débarque dans la salle des pas perdus de la gare Windsor, elle se demande quelles surprises la vie peut bien lui réserver. Se présentent alors cinq destinées possibles qui comportent leur lot de risques et d’occasions, de bonne et de moins bonne fortune.

Mais dans chacune de ces existences, Ti-Lou devra composer avec plus que le hasard et la chance, car au détour des avenues l’attendent le couteau de la solitude et, pire encore, la peur de se laisser aimer.

 

 EXTRAIT

En sortant de l’ascenseur, au rez-de-chaussée, elle se jette sur le premier groom qu’elle croise.
« Excusez-moi. La salle à manger, c’est où ?
— On en a deux, madame, une juste pour le matin, pis une autre pour le midi pis le soir...
— C’est assez évident que je cherche pas celle du matin, hein? »
Ti-Lou regrette aussitôt ses paroles. Surtout le ton qu’elle a utilisé.
« Excusez-moi, j’ai faim pis ça me rend de mauvaise humeur. »
Le groom soulève son petit caluron rouge.
« C’est ben la première fois qu’une cliente s’excuse... Suivez-moi, j’vas vous montrer. »
Elle lui emboîte le pas.
« Y a pas grand monde à cette heure-là... Votre mari va venir vous rejoindre ? »
Elle hausse les épaules.
« Que c’est que tout le monde a à me parler de mon mari ? Y est mort, mon mari! Jamais je croirai qu’y vont m’empêcher d’entrer dans la salle à manger parce que chus tu-seule !
— Pantoute. C’est pas ce que je voulais dire...
— Excusez-moi encore une fois... Je sais pas ce que j’ai...
— Mon Dieu, deux fois! Va falloir que je fête ça ! »
Au bout de ce qui s’appelle la Peacock Alley, une galerie marchande qui sépare les deux immenses salles de bal, se trouvent le bar et les deux salles à manger. Ti-Lou se dit qu’elle n’y serait jamais arrivée toute seule et tend un billet de un dollar au groom.
« C’est trop, madame...
— Ben non, c’est pas trop. Surtout que j’ai été bête avec vous... »
Il prend l’argent, salue bas, s’éloigne.
Après s’être fait demander une fois de plus par le maître d’hôtel si son mari va venir la rejoindre, Ti-Lou se retrouve attablée dans un coin retiré de la salle à manger. De toute évidence, les femmes seules ne sont pas les bienvenues. En tout cas, elles ne sont pas « souhaitées ».
Elle commande un verre de vin blanc et une douzaine d’huîtres. Pour commencer. Elle verra après. Le garçon, pour une raison d’intendance, prétend-il, insiste un peu pour qu’elle commande son repas au complet tout de suite, elle lui répond qu’elle ignore si elle prendra autre chose et que, de toute façon, comme la salle à manger est presque vide, elle doute qu’il y ait quelque problème d’intendance que ce soit. Cette fois, elle ne regrette pas ses paroles. Ni son ton.
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MICHEL TREMBLAY

Prolifique chroniqueur, dramaturge dont les pièces sont jouées dans le monde entier, Michel Tremblay est l’un des écrivains les plus importants de sa génération. Le cycle des Belles-sœurs, les Chroniques du Plateau-Mont-Royal et La diaspora des Desrosiers appartiennent au corpus des œuvres majeures de la littérature francophone actuelle.

Photo : Laurent Theillet.

Roman / Collection : « Nomades » / Prix indicatif : 9,95 $

168 pages environ / 11x17,6cm / 978-2-7609-3695-9

En librairie le 27 octobre 2021

Également disponible au format numérique - ePub

 
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